En conversation avec … Ron Rosenes

Ron Rosenes est un membre du Cercle des porte-flambeaux du Réseau juridique. Il a été vice-président du Conseil canadien de surveillance et d’accès aux traitements et travaille depuis plus de vingt-cinq ans à des enjeux liés au VIH. Il a reçu récemment l’Ordre du Canada pour son travail communautaire.

Ron Rosenes

Comment ta formation et ton expérience vécue influencent-elles ton militantisme?

Ma formation universitaire ne m’a pas préparé à devenir militant dans le domaine du VIH et du sida. J’ai étudié le français, le russe et le latin, en grandissant à Ottawa, et j’ai trouvé le poste parfait d’enseignant, après l’université, dans un cégep de Montréal. J’aimais bien être en classe, mais ce n’était pas ce que j’avais envie de faire toute ma vie, alors j’ai laissé tomber et j’ai commencé une entreprise avec un copain. Mais, pour ce qui concerne le militantisme, je me suis peut-être toujours préparé, en quelque sorte, à m’impliquer dans la communauté du VIH. Il y a un filon commun à mon parcours de travail : être un communicateur. Un enseignant, un bon enseignant, devrait être bon communicateur, ce qui n’est pas mauvais non plus pour le leadership communautaire et le militantisme.

J’ai eu une vie d’homme gai très actif qui visitait souvent New York; c’est probablement là que j’ai contracté le VIH, à la fin des années 1970. J’ai passé un test de confirmation en 1987, à l’époque où l’on commençait à observer le plein impact du VIH. Je n’ai pas été grandement politisé jusqu’à ce que je m’implique dans le travail communautaire sur le VIH, après le décès, en 1991, de mon partenaire avec qui j’avais vécu pendant quinze années. Je crois que Kimble et moi serions encore ensemble aujourd’hui s’il avait survécu au VIH et au sida.

Je me sentais vidé, physiquement, après ce deuil difficile; je suis allé au Comité du sida de Toronto (ACT) où un conseiller m’a recommandé de ralentir le rythme si je voulais rester en vie. C’était le début des années 1990 et nous perdions des amis et des connaissances en nombre effarant. Je ne voyais pas à très long terme, moi-même. Heureusement, j’avais une assurance-invalidité à long terme, que j’ai pu utiliser; j’ai commencé à faire du bénévolat chez ACT et je suis devenu plus tard président du conseil d’administration, à une époque difficile de déficit et de décisions qu’il fallait prendre afin que l’ACT corresponde mieux aux personnes que nous commencions à servir.

J’ai participé au Congrès international sur le sida à Vancouver, en 1996, année où la trithérapie antirétrovirale a été annoncée et a ouvert une période plus optimiste, car les taux de mortalité ont commencé à diminuer de façon marquée. Je me suis joint à Louise Binder, qui avait fondé le Conseil canadien de surveillance et d’accès aux traitements (CCSAT) avec Glen Hillson, et j’ai passé les 14 années suivantes à travailler pour améliorer l’accès aux traitements et à soutenir la communauté lors de congrès internationaux sur le sida. J’ai travaillé comme agent de liaison en militantisme communautaire et me suis immergé dans les enjeux mondiaux touchant le VIH. Ce rôle m’a aidé à comprendre l’impact des déterminants sociaux de la santé et des déséquilibres de pouvoir qu’ils créent et qui augmentent la vulnérabilité à l’infection.

Lorsque le VIH a commencé à affecter des personnes marginales, je me suis senti de plus en plus comme quelqu’un qui était en zone de relatif confort et de privilège en comparaison avec bien des gens autour de moi. Le VIH ne discrimine pas, mais il s’en prend aux plus vulnérables de notre société. Comme nous le savons maintenant, le VIH est le plus prévalent parmi les hommes gais, les personnes qui consomment des drogues, les nouveaux arrivants de pays où les taux d’infection sont élevés, et nos communautés des Premières Nations. Il affecte de façon disproportionnée des personnes dont les droits humains sont souvent menacés et ont besoin de protection. Il existe encore de nombreux problèmes cliniques, mais, pour plusieurs personnes vivant avec le VIH, le virus n’est peut-être pas la première chose à laquelle elles doivent penser au quotidien. Il peut y avoir une plus grande urgence de trouver un logement stable, un emploi qui paie assez pour avoir de quoi manger, ou peut-être pour se procurer la drogue dont elles sont dépendantes. Elles peuvent être fraîchement sorties de prison et y avoir contracté l’hépatite C en raison de l’inaccessibilité de matériel d’injection stérile. Ce sont certaines des choses de droits humains fondamentaux dont le Réseau juridique s’efforce d’assurer la protection. Dans mon travail au CCSAT, j’ai découvert le plaidoyer systémique et le puissant rôle que peuvent jouer les gens lorsqu’on les encourage et qu’on leur fournit les outils pour parler de leur histoire avec leur propre voix.

Comment ton militantisme a-t-il évolué, avec le temps?

Je suis devenu plus militant au début des années 1990, lorsque plusieurs de nos relations avec le pouvoir étaient teintées d’adversité. Nous devions faire entendre nos voix pour que l’on s’occupe d’une maladie qui affectait plusieurs personnes stigmatisées dans notre société. Avec le temps, j’ai constaté que le développement de liens de confiance avec des personnes dans des postes de pouvoir nous donnait accès à des lieux où nous pouvions influencer des politiques, le développement de médicaments et l’accès aux traitements. Aujourd’hui, la crise médicale n’est plus aussi grave, mais la stigmatisation et la peur catalysent le recours aux tribunaux pour punir des gens qui ne dévoilent pas à leurs partenaires qu’ils ont le VIH. Le droit n’évolue pas avec la science; et criminaliser le VIH ne fait que le pousser dans le secret. L’homophobie insidieuse a le même effet de choc sur la prévention du VIH dans plusieurs pays. Pour chaque pas en avant, on a l’impression d’en faire deux à reculons.

Qu’est-ce que ça fait de recevoir l’Ordre du Canada?

Sur le plan personnel, la reconnaissance est merveilleuse; j’étais ravi et étonné de le recevoir. Je crois que c’est un grand honneur, pour nous qui travaillons dans le domaine du VIH et pour ceux d’entre nous qui sont ouvertement gais. Je ne pense pas que l’Ordre du Canada ait reconnu bien des contributions dans notre secteur et de gens comme moi, alors c’est un honneur qui doit être partagé avec tout le monde de notre communauté.

Quels sont certains des plus grands défis pour les Canadien-nes vivant avec le VIH aujourd’hui?

Le stigmate et la discrimination demeurent d’énormes défis. Les messages concernant le VIH sont mélangeants : « Croyez-moi, vous ne voulez pas avoir ce virus. Ce n’est pas un cadeau. Mais si vous le contractez, ce n’est pas si grave, nous avons une pilule. » Pour trop de gens, la pauvreté et d’autres formes d’inégalités sociales peuvent conduire au VIH, et le VIH mène trop souvent à la pauvreté.

Pourquoi le travail du Réseau juridique est-il important pour toi?

Le Réseau juridique canadien VIH/sida est un des meilleurs atouts que nous ayons, dans notre communauté, pour faire en sorte que le VIH continue d’être considéré dans la perspective des droits de la personne et de la justice sociale. Nous avons besoin que nos droits soient protégés, si nous croyons au vieil adage selon lequel « aucun d’entre nous n’est en sécurité si l’un d’entre nous ne l’est pas ». Le Réseau juridique est un gardien de nos droits individuels, dans une société où nous continuons de rencontrer le stigmate, la discrimination, le racisme systémique, la violence contre les femmes, et des attitudes postcoloniales. Nous avons besoin du Réseau juridique pour assurer que nos droits humains fondamentaux sont juridiquement protégés. Cela est le fondement du travail qu’accomplit chacun d’entre nous pour modifier les attitudes qui alimentent les « -ismes » qui, tristement, empêchent encore plusieurs personnes parmi nous de vivre une vie satisfaisante.

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