L’ex-détenu Steve Simons écrit pourquoi un programme d’échange de seringues en prison est nécessaire

 

 

 

 

 

Steve Simons, ex-détenu, est codemandeur dans un procès contre le Gouvernement du Canada pour son échec à protéger le droit à la santé des détenu-es et à prévenir la propagation du VIH et du VHC dans les prisons fédérales.

 

 

 

 

 


J’ai contracté l’hépatite C dans une prison fédérale. Un programme adéquat de seringues en prison évitera ce sort à d’autres.

Pendant 13 ans, j’ai été incarcéré dans une prison fédérale. C’est pourquoi les décideurs ne m’écoutent pas, mais c’est aussi exactement pourquoi ils devraient m’écouter.

Lorsque j’étais à l’établissement de Warkworth, j’étais représentant des soins de santé auprès des détenus. Dans ce rôle, j’ai appris et enseigné comment éviter l’infection par le VIH et l’hépatite C (VHC).

Des codétenus venaient me voir pour apprendre à s’injecter des drogues de façon sécuritaire. Les autorités carcérales nous disaient de ne jamais réutiliser ni partager des seringues, mais elles ne nous donnaient pas de seringues propres pour nous protéger. J’ai également parlé avec des gardiens de prison expérimentés qui m’ont dit qu’ils préféreraient voir une seringue au grand jour plutôt que de se piquer accidentellement sur une aiguille cachée, lors d’une fouille de routine dans une cellule.

À l’époque, je ressentais des douleurs articulaires extrêmes à la suite d’un accident de travail; et je me suis tourné vers des drogues intraveineuses pour me soulager. Je n’ai jamais partagé mon matériel d’injection car je connaissais les risques. Mais un jour, un codétenu a pris ma trousse dans ma cellule et a utilisé mon matériel à mon insu, sans mon consentement. Quelques mois plus tard, j’ai reçu un résultat positif à un dépistage du VHC.

Cela ne serait pas arrivé si un programme adéquat de seringues et d’aiguilles avait été en vigueur.

Ces programmes permettent aux détenu-es d’avoir accès à du matériel d’injection stérile, ce qui réduit le partage et les risques associés. Ils rendent les prisons plus sûres pour les détenu-es et pour le personnel carcéral. Ils n’entraînent pas d’augmentation de la consommation de drogues et ils permettent même de réduire les surdoses, ce qui est vital dans la crise actuelle à cet égard.

Permettez-moi de le dire avec la plus grande insistance possible : la santé en prison, c’est la santé publique. Au Canada, la plupart des détenu-es réintégreront leur communauté et y emporteront toute maladie contractée en prison. Un programme de seringues en prison protège tous les Canadiens et toutes les Canadiennes.

Le Gouvernement du Canada a récemment pris la bonne décision d’introduire un « programme d’échange de seringues en prison » dans tous ses établissements. Pour être clair, ces programmes ne sont pas tous d’égale qualité. Et celui que déploie le SCC est en fait terriblement imparfait et porte atteinte à plusieurs égards importants à la confidentialité des détenu-es, ce qui les empêche d’accéder à ces soins.

Pour obtenir l’autorisation d’utiliser ce service de santé, un-e détenu-e doit d’abord déclarer sa consommation de drogues à la sécurité de la prison. Or, en prison, aucune personne ne s’attend à pouvoir faire cela sans être exposée à de sérieuses conséquences. Il s’agit d’un obstacle majeur et aucun autre programme de seringues en prison dans le monde n’utilise cette approche.

Pour aggraver les choses, le Syndicat des agents correctionnels du Canada (SACC) s’est mobilisé contre le programme, prétendant qu’il est dangereux et inefficace pour réduire la propagation d’infections et d’autres méfaits. En surface, ce message trouve probablement des oreilles compatissantes. Pas de seringues dans les cellules? Bien oui, cela semble tout à fait justifiable. Mais nous devons reconnaître que les détenu-es utilisent déjà des seringues et des aiguilles dans leurs cellules et continueront à le faire – et qu’elles sont partagées par d’innombrables personnes, mettant en fin de compte leur santé et leur vie en danger.

Ce qui me fait vraiment bouillir le sang est un argument utilisé par le SACC selon lequel les seringues de ce programme serviront d’armes contre les gardien-nes. Permettez-moi de rétablir les faits : en plus de 25 ans d’existence de tels programmes dans des pays du monde entier, cela ne s’est jamais produit. Et pour le personnel, une piqûre est certainement plus dangereuse si l’aiguille est usagée et capable de transmettre le VIH ou le VHC. Des seringues et aiguilles stériles améliorent la sécurité de tout le monde.

Mon expérience personnelle me donne une perspective qui est importante. Le fait de ne plus être en prison me donne une voix. C’est pourquoi j’ai décidé d’utiliser ma voix, en m’associant au Réseau juridique canadien VIH/sida et à d’autres organismes, afin de poursuivre le Gouvernement du Canada pour son défaut de protéger le droit des détenu-es à la santé et de prévenir la propagation du VIH et du VHC dans les prisons fédérales.

Un message au Gouvernement du Canada : vous avez l’obligation légale de protéger et de promouvoir la santé, y compris celle des personnes incarcérées. Vous devez rectifier l’actuel programme d’échange de seringues en prison et assurer sa mise en place dans toutes les prisons fédérales. Et vous devez vous méfier des arguments fallacieux contre ces programmes; car si de tels arguments arrivent à leurs fins, il s’agira d’une perte dévastatrice pour la santé des détenu-es, les droits humains et la santé publique.